Le pouvoir des récits pour réinventer nos futurs

Les nouveaux récits sont ils la clé pour la transition ?

« Les nouveaux récits » Une formule qui fait lever plus d’un sourcil…

Nouvelle expression marketing pour rebrander le « storytelling », ou véritable changement dans la nature du récit lui-même ? Si on fait l’état des récits actuels, le tableau n’est pas très joli : entre la désinformation médiatique, le goût dystopique des œuvres culturelles, la dissimulation dans les discours politiques, le « narrative-washing » dans les récits corporate, l’individualisme des réseaux sociaux, nous sommes bombardés constamment de récits inégaux qui laissent davantage un sentiment de futilité que d’appartenance.

Ces récits qui devraient nous unir et nous animer, essayent-ils de nous faire croire à autre chose qu’à un pessimisme gravitant autour de la théorie de l’effondrement ou qu’à l’optimisme naïf d’une croissance infinie et du technosolutionnisme ? Alors qu’ils ont participé à développer notre imaginaire et nos croyances, à construire l’Histoire et nos valeurs, à transmettre l’information et à éduquer, sont-ils devenus de simples outils de manipulation, de promotion de la consommation, d’illusion et de détournement, si bien que beaucoup d’entre-nous s’en sont complètement isolés ?

Ces « nouveaux récits » ont-ils toujours un impact et seraient-ils la clé à tous nos problèmes ? On a mené l’enquête.

Vous êtes-vous déjà demandé…

Pourquoi vous portiez une cape noire quand vous étiez enfant ?

Pourquoi vous adoriez jouer avec des poupées ou figurines ? Pourquoi vous vous êtes retrouvé à faire des études de journalisme ? Pourquoi vous avez toujours eu peur de traverser ce lac à la nage ? Pourquoi vous avez toujours rêvé de recueillir un chat ou un chien dans la rue ? Pourquoi il vous est impossible d’ouvrir un parapluie à l’intérieur ? Pourquoi vous avez toujours voulu partir en voyage au Japon ? Pourquoi Noël est un moment aussi important ?

Toutes ces lubies, ces rêves ou obsessions, tout ce qui nous définit, ce qu’on aime, ce qu’on rejette, nos valeurs, nos peurs, et tout ce qui nous guide au jour le jour… Tout ça ne vient pas de nulle part mais des récits qu’on nous a contés, ou de ceux qu’on s’est contés nous-même.

« Nous créons des récits […] qui nous permettent de donner du sens au monde dans lequel nous évoluons afin de vivre dans une certaine cohérence. »

Jules Colé, « Comment faire évoluer nos imaginaires ? », p13

Les récits nourrissent notre quête de sens et se retrouvent partout.

Sébastien Bohler, docteur en neurosciences, explique que l’origine des récits remonterait à la situation de survie de notre ancêtre Homo Sapiens qui devait déceler les « liens de sens dans son environnement, comme l’envol des oiseaux avant la survenue d’un violent orage »[1] pour anticiper et augmenter ses chances de survie.

Depuis, les récits au sens de « narration », se sont développés et infiltrés partout.

On pense en premier aux histoires racontées dans les livres, dans les films, les séries, les jeux vidéo… Mais ils sont aussi là dans la mythologie, la religion, l’astrologie… Ils infusent tous les discours corporate, les publicités à la télévision, les films de marque, les stratégies de placement de produits…

Ils se forment à partir de la réalité pour la raconter sous un angle bien précis et choisi : un documentaire, un article d’actualité, un discours politique… Et depuis quelques décennies, les récits individuels explosent en ligne : il y a longtemps sur des blogs, puis sur les réseaux sociaux, Youtube, Instagram, Tik tok…

La crise de récits fondateurs

Ils sont contés pour émouvoir, pour toucher, unir parfois des centaines voire des milliers d’individus :

« l’imagination et la quête de sens permettent aux êtres humains de partager des objectifs et de coordonner des actions, afin de concrétiser des projets qu’il aurait été impossible de réaliser seul, autrement dit : de coopérer. »

Jules Colé, « Comment faire évoluer nos imaginaires ? », p14

Cependant, du fait de leur puissance émotionnelle, les récits peuvent être capables d’anesthésier parfois toute logique, et devenir un outil purement manipulatoire. De façon de plus en plus marquée, on constate que le récit vient même tenter de se substituer au fait.

On le voit particulièrement dans les discours politiques extrémistes ou les discours journalistiques tenus dans les médias détenus par des grandes fortunes…

« Aucun argent public n’a été détourné » ; « Il n’y a d’entente avec personne, il n’y a pas de connivence avec qui que ce soit » ; « Alors j’affirme, je n’ai jamais été informé de quoi que ce soit de violences, ou de violences à fortiori sexuelles, jamais » ; « Un dictateur sans élection… » ; « Non, […] ce n’est pas nous qui sommes venus perpétrer un génocide » …

Ce ne sont que les derniers, les plus tristement célèbres à nos oreilles, mais les récits tordus par la peur, tordus par la haine, pervertis pour servir les intérêts (qu’ils soient politiques ou capitalistes), affluent dans toutes les sphères de la communication, depuis toujours.

Alors comment en vouloir à ceux qui ont arrêté de regarder la télévision ou de s’intéresser à l’actualité ? Comment en vouloir à ceux qui se sentent démunis face à tant de bêtise, de mensonges et de violence ? A ceux qui préfèrent s’isoler des récits collectifs car ils n’y trouvent plus aucun sens ?

Les individus sont-ils encore sensibles aux récits ? Est-ce qu’il y a encore des récits qui donnent un sens, une envie de croire à l’avenir ? De croire en nos valeurs d’égalité, de solidarité et de fraternité ?

« Nous sommes à l’aube de la sixième extinction de masse. Et pourtant, l’écho retentissant des alertes scientifiques sonne comme un vide en nous, là où il devrait faire résonance. L’état d’urgence dans lequel nous sommes devrait nous pousser à sortir du déni pour entrer dans une vision lucide des risques d’effondrement de nos civilisations et nous pousser à l’action. Or nous sommes accablés de constater l’insuffisance des changements pour aller vers un monde réellement soutenable. La plupart des acteurs économiques et politiques préférant maintenir le statuquo, rendant le monde tout simplement invivable. »

Jules Colé, « Comment faire évoluer nos imaginaires ? », p9

Les nouveaux récits, la clé pour un nouveau monde ?

Les « nouveaux récits » sont des récits qui ont l’ambition de donner une vision du futur, sous un angle engageant. Mais ils ne sont pas si « nouveaux » que ça.

Cela fait plusieurs décennies que le mouvement écologiste tente de s’en emparer pour convaincre les individus qu’ils ont un rôle à jouer dans la transition et qu’ils doivent prendre ce rôle au sérieux.

En 2022, L’ADEME a consacré tout une partie de son site aux nouveaux récits. L’objectif ? Lancer des initiatives à tous les niveaux, dans tous les domaines pour créer de nouveaux imaginaires collectifs, afin de nous unir et de donner envie d’agir en faveur d’un monde futur enviable.

Mais cette fabrique d’imaginaires manque encore à l’appel

Lorsqu’il est question d’avenir, nos imaginaires sont encore tiraillés entre les mythes de : l’opposition de la Nature au Progrès, la compétition et l’individualisme au profit de l’entraide, la croissance infinie et le consumérisme, jusqu’au fantasme de la « postnature » :

« l’être humain serait devenu un être augmenté, un “dieu-machine” émancipé de son corps et de son environnement, dans laquelle la nature aurait totalement été anthropisée »

Jules Colé, « Comment faire évoluer nos imaginaires ? », p24

Et tout le monde peut en faire le constat… Les imaginaires véhiculés par les œuvres culturelles qui se déroulent dans un univers futuriste, demeurent majoritairement dystopiques.

  • Soit ils s’appuient sur l’idée d’une croissance infinie, que la consommation est « la clé du bonheur », que seul le progrès et les technologies nous permettront de trouver des solutions aux crises actuelles.
  • Soit ils s’appuient sur la théorie de l’effondrement : la disparition de notre société suite à une succession de crises environnementales, économiques, géopolitiques et sociétales.

Et il est très facile de le constater par soi-même, si vous faites ce petit exercice :

Lister les films futuristes qui proposent un avenir dans lequel il ferait bon vivre pour l’ensemble du vivant[2].

Difficile, n’est-ce pas ?

Mais le plus inquiétant, c’est que contrairement à la fonction du récit, ces imaginaires ne nous mettent pas en mouvement, ils nous entravent, voire nous figent.

Face à un avenir si déplorable, des efforts à fournir aussi importants pour échapper à notre sort, nous n’osons plus bouger, nous restons dans le déni ou étrangement résolu à cette fin, comme si rien d’autre n’était imaginable.

Une urgence à créer ensemble ces nouveaux récits !

Ces nouveaux récits ne sont pas forcément caractérisés par des univers positifs qui présentent une vision utopique, sans défauts du futur (comme on le sait, pour qu’il y ait « histoire », il faut qu’il y ait « problème(s) »), mais par un récit qui inspire, qui démange notre imagination et laisse fleurir des solutions. Un récit qui se positionne à l’inverse de ceux qui nous placent déjà au pied du mur, en montrant la vision d’un constat irrémédiable dans lequel se meuvent des personnages qui finiront par se faire dévorer par un monde sans espoir.

Il est intéressant de noter que les récits dramatiques ou sombres qui s’ancrent dans un univers passé, n’ont pas le même effet que ceux qui se déroulent dans un univers futur. Comment ne pas désirer un monde de paix après avoir vu une œuvre de fiction qui montre la Seconde Guerre Mondiale dans toute sa brutalité, son horreur et sa folie ? La différence, c’est que dans le premier cas, l’horreur est derrière nous et nous le savons. La prise de conscience et la volonté de ne plus reproduire les mêmes erreurs sont presque automatiques. Dans le deuxième cas, il reste tout à faire.

Il est plus facile de s’insurger contre les erreurs de ceux qui nous précèdent que sur les conséquences possibles de nos actions présentes. Mais c’est peut-être en s’inspirant du pouvoir des récits d’évènements passés, que les nouveaux récits pourraient trouver leur salut ?

« Un nouveau récit » serait donc un récit qui décrypterait les enjeux majeurs de l’époque tout en épousant les codes du storytelling. Il porterait un regard sur le monde actuel et à venir, à mi-chemin entre fiction et réel. Un bon récit part de faits lucides qui le rendent crédibles et qui permettent d’entrer en empathie avec les personnages pour ensuite ouvrir le champ de possibles, inviter au rêve, à l’extraordinaire, et offrir une expérience immersive, esthétique et émotionnelle. »

Interview de Valérie Zoydo – Les nouveaux récits, auteure et réalisatrice de films engagés, co-fondatrice du collectif de scénaristes Atmosphères

Nous avons besoin de nouveaux imaginaires pour diriger nos efforts à tous les niveaux de la société. Nous avons besoin de récits plausibles, optimistes, qui donnent envie d’aller de l’avant, de se mobiliser, de mettre en place des actions qui auront un poids.

« ces acteurs (du secteur public, privé ou associatif) […] ont bien compris l’importance de rendre désirables l’écologie et la justice sociale pour qu’elles ne soient plus perçues comme contraignantes, répulsives ou inatteignables. L’émergence de nouveaux récits sur d’autres causes comme le féminisme, la tolérance ethnique ou l’homosexualité (dans la publicité, les films, les séries, etc.) montrent qu’il est en effet possible de faire évoluer nos regards et nos comportements – notamment en véhiculant de nouvelles normes sociales et de nouvelles valeurs – et parfois même relativement rapidement. »

Jules Colé, « Comment faire évoluer nos imaginaires ? », p10

Mais avant tout, des récits miroirs de nouvelles actions !

Par-dessus tout, nous avons besoin que ces récits s’appuient sur la mise en place de solutions concrètes et ne restent pas des discours idéalistes creux.

Ces récits doivent être précédés ou suivis par des actions de la part de ceux qui détiennent la plus grande force de frappe. Et on ne parle pas ici des individus, mais bien des acteurs politiques et économiques à travers le monde. Sans quoi nos récits ne resteront qu’imaginaires.

Dans une interview sur le site de l’ADEME, Jules Colé alerte sur les risques de « narrative-washing ». En réponse à une sensibilité de plus en plus grande des individus aux questions éthiques et écologiques, certains organismes s’approprient les récits qui portent ces valeurs, sans mettre en place les transformations profondes qu’ils sous-tendent. Ces récits deviennent alors des outils marketing à des fins purement commerciales ou politiques.

Or les récits ne sont pas des fins en soi, mais des tremplins pour parvenir à une concrétisation de ces imaginaires positifs.

« ne nous leurrons pas : la crise de notre relation au monde nécessite un véritable changement de paradigme, c’est-à-dire un changement de notre vision du monde et de notre mode de pensée. Les récits peuvent être d’excellents leviers pour atteindre le point de bascule et déclencher un effet de mimétisme vertueux qui conduirait à un nouveau paradigme. Cependant, ils ne doivent pas, à l’image de la technique, devenir des fins en soi. L’enjeu semble avant tout de réussir à vivre et ressentir de nouveaux imaginaires, ouverts et plus vertueux, de sorte à augmenter notre puissance d’agir dans le présent pour changer de cap et construire des sociétés durables. »

Jules Colé, « Comment faire évoluer nos imaginaires ? », p11

De nombreuses initiatives sont déjà lancées :

Et si ce sujet vous intéresse, nous ne pouvons que vous conseiller de lire la page dédiée du site de l’Ademe et le mémoire de Jules Colé « Comment faire évoluer nos imaginaires ? »  qui ont largement participé à la rédaction de cet article et donnent des pistes concrètes pour imaginer la société de demain.

La vidéo réalisée par la chaîne AUTREMENT est aussi une très bonne source pour comprendre et creuser les enjeux autour des nouveaux récits :

A DOWiNO, on n’a jamais arrêté de porter une cape…

« Créer collectivement des récits et des imaginaires positifs sur des sujets sociétaux et environnementaux afin de faire changer les regards, les mentalités et les comportements. »

C’est, mot pour mot, notre mission !

Cela fait déjà 12 ans que nous accompagnons des organismes (entreprises, institutions, associations, …) pour créer avec eux ces nouveaux imaginaires durables et positifs…

  • Comment imaginer son activité en tenant compte des défis écologiques, éthiques, sociaux et sociétaux ?
  • Comment faire adhérer ses collaborateurs à ces changements ?
  • Comment redonner goût à certaines filières délaissées car aucun récit ne les intègre positivement dans la vision d’un monde de demain, alors qu’elles ont un rôle clé à y jouer ?
  • Comment ouvrir les esprits et faire changer les mentalités pour installer la bienveillance, le respect, la considération de l’autre, l’égalité des chances ?
  • Comment lutter contre les préjugés, les stéréotypes, et la fausse information ?
  • Comment faire entendre un message qui pourrait tout changer s’il était mieux compris et mieux appliqué ?

La réponse est dans le titre de cet article.

Plonger dans un univers et s’immerger dans des histoires qui surprennent, illustrées par une direction artistique tranchée. S’identifier à des personnages attachants et hauts en couleur, pour ressentir des émotions : c’est notre parti pris pour pousser à l’action.

Incarner un détective pour réapprendre à communiquer et s’entraider ? Voyager dans le passé pour observer les erreurs commises et réfléchir à un moyen d’y remédier dans le présent ? Explorer un monde solar punk qui mêle réalité et projections futuristes positives pour inspirer et débloquer des initiatives ?

Qui sait le nouveau récit que vous nous donnerez à créer, pour inviter à croire à un nouveau monde…


sources :

[1] Jules Colé, « Comment faire évoluer nos imaginaires ? »

[2] Exercice proposé par Julien Marcinkowski, professeur de psychologie sociale de l’environnement